Orestis NIKIFOROU
À l'heure où Chypre fait face à une vague d'acquisitions foncières par des ressortissants israéliens, l'AKEL, principal parti de gauche de l'île, tire la sonnette d'alarme. Entre enjeux de souveraineté, ambitions géopolitiques d'Israël et mémoire d'une île divisée depuis 1974, le parti dénonce une stratégie d'emprise silencieuse sur le territoire chypriote et appelle à une réponse politique ferme et démocratique.
Introduction
À l'ouverture du 24e Congrès panchypriote du Parti progressiste des travailleurs (AKEL), son secrétaire général, Stéfanos Stéphanou, a lancé un avertissement grave : Chypre est en train de perdre le contrôle de son territoire face à une vague d'achats massifs de terres par des ressortissants étrangers, et principalement israéliens. Derrière cette dynamique immobilière se cache, selon l'AKEL, une stratégie d'influence régionale d'Israël, qui cherche à s'ancrer durablement dans l'île pour en faire un relais avancé de ses intérêts stratégiques en Méditerranée orientale. Cet enjeu dépasse la seule question foncière : il touche à la souveraineté, à la sécurité nationale et à la stabilité régionale.
Une vague d'acquisitions foncières israéliennes : des ghettos à la pénétration stratégique
Selon Stéphanou, la prolifération d'achats immobiliers par des citoyens israéliens s'accompagne de la création de zones résidentielles fermées, de ghettos de luxe, de l'installation d'écoles sionistes, de lieux de culte, et de la mainmise progressive sur des secteurs économiques clés. Cette présence n'est ni anecdotique ni spontanée. Elle s'inscrit dans une logique de consolidation d'une diaspora israélienne régionalisée, et pourrait fonctionner comme un levier de soft power et de pénétration stratégique dans les institutions locales et le tissu économique chypriote.
Une souveraineté chypriote fragilisée par l'histoire et l'inaction politique
Depuis l'invasion turque de 1974, Chypre vit avec une plaie ouverte : plus d'un tiers de son territoire est toujours occupé par l'armée turque. Toute perte supplémentaire de contrôle sur le foncier ou sur des infrastructures vitales dans la zone libre est perçue comme une dilution silencieuse de l'indépendance nationale. Pour l'AKEL, l'inaction face à ces acquisitions étrangères constitue une faille stratégique, exploitée par Israël dans le cadre de sa politique régionale.
Israël, nouvel acteur-clé à Chypre : entre coopération et domination ?
Israël multiplie les accords bilatéraux avec Chypre dans les domaines de la défense, de l'énergie et des technologies. L'île est un point d'appui stratégique pour sécuriser ses intérêts. Pour l'AKEL, cette coopération masque un déséquilibre profond : Chypre devient un prolongement géopolitique des intérêts israéliens, sans contrôle démocratique ni garanties de souveraineté.
L'AKEL, sentinelle démocratique et patriotique
L'AKEL revendique son rôle de gardien de l'intérêt national. Il appelle à encadrer strictement les acquisitions foncières par des étrangers, à protéger les infrastructures et à ouvrir un débat public sur la souveraineté foncière. Il propose également un débat européen sur les investissements étrangers stratégiques, mettant en garde contre un laxisme qui peut mener à la perte de contrôle national.
Le Parti progressiste des travailleurs (AKEL) est l'un des plus anciens partis chypriotes, fondé en 1941 comme successeur légal du Parti communiste de Chypre, interdit par les Britanniques. Dès ses débuts, il adopte une ligne marxiste-léniniste et joue un rôle important dans la lutte anticoloniale, défendant des solutions pacifiques au conflit chypriote.
Après l'indépendance de 1960, l'AKEL devient une force politique majeure, promouvant la coexistence gréco-turque et s'opposant aux coups d'État et à l'occupation turque de 1974. Il soutient une solution fédérale et bicommunautaire pour l'île.
Sur le plan intérieur, il milite pour les droits sociaux et syndicaux, notamment à travers la PEO. En 2008, son candidat Dimitris Christofias devient président de la République, premier dirigeant communiste élu dans l'UE, avec pour priorité la réunification et la justice sociale, bien que confronté à la crise économique mondiale.
Aujourd'hui encore, l'AKEL reste le principal parti de gauche à Chypre et un pilier de l'opposition, dénonçant les politiques néolibérales, les privatisations et les ingérences extérieures, tout en défendant les droits du peuple et la souveraineté nationale.
Conclusion
Chypre est à la croisée des chemins. Entre l'occupation turque persistante au nord et l'expansion israélienne discrète au sud, l'île risque une double perte de souveraineté. L'alerte de l'AKEL s'inscrit dans une lecture lucide des rapports de force en Méditerranée orientale. Si rien n'est fait, Chypre pourrait devenir un terrain de jeu stratégique pour des puissances extérieures, au détriment de son peuple.
Bibliographie et sources complémentaires
Pace, M. & Seeberg, P. The EU, Israel and Palestine : Assessing European Foreign Policy in the Middle East. Routledge, 2021.
Ker-Lindsay, J. The Cyprus Problem : What Everyone Needs to Know. Oxford University Press, 2011.
European Parliament Briefings, « Foreign investment and national security in the EU », 2021.
Kosmodromio.gr, « Καμπάνα από το ΑΚΕΛ για τις πωλήσεις γης σε Ισραηλινούς και τη δημιουργία γκέτο στην Κύπρο », 22 juin 2025.
Cyprus Mail, archives 2023-2025 sur les relations Chypre-Israël et les investissements étrangers.
AKEL - Site officiel : akel.org.cy